Aller au Liban
Aller au Liban c’est entreprendre un voyage à nul autre pareil. Si l’on est chrétien particulièrement, on s’attend à trouver là-bas le beau pays de la Promesse, celui décrit dans le Cantique des cantiques : le Liban de la pureté et de la douceur, étincelant de blancheur du haut de ses sommets enneigés se mirant dans la Méditerranée ; le Liban de l’abondance, riche de son lait et de son miel, que lui procurent une nature et un climat généreux, riche de ses eaux fertilisantes jaillissant en sources et résurgences innombrables ; le Liban de la gloire, fier de son incomparable parure : ce cèdre au bois sacré parce qu’incorruptible, aux branches étales protégeant la terre de leur ombre bienfaisante. N’est-ce pas précisément le sens de la démarche du voyageur chrétien (pèlerin serait plus juste car le Liban appartient à la Terre sainte) : aller à la rencontre de la beauté, de la vérité, de la lumière ?
Le premier pas posé sur le sol libanais répond à cette attente : on est saisi par la grandeur des paysages ; on est séduit par l’hospitalité, la vivacité d’esprit, l’éclat intellectuel, en un mot le génie, de ses habitants ; on est ébloui enfin par leur ferveur religieuse. Et l’on ne tarde pas à succomber au charme envoûtant de ce peuple et de ce pays, où l’on est accueilli comme un membre de la famille, au point que l’on ne s’y sent pas étranger, au point que les plaies de la guerre, pourtant omniprésentes ne blessent pas la vue.
Le Liban serait-il donc ce paradis promis à l’homme par le Créateur ? Non pourtant. Pour peu qu’on s’y attarde, que, conquis, on s’y établisse, confronté aux duretés de la vie quotidienne, vite dérouté, irrité même, par l’ambiguïté inhérente à la mentalité orientale, on en vient à ne plus porter sur ce pays le même regard enchanté. On verra alors le Liban défiguré, ruiné, déchiré, meurtri, divisé, le Liban du scandale, de la désolation, de la compromission, de la déchéance, de la malédiction. En fait, le Liban tel que décrit prophétiquement par Ézéchiel.
Déçu, on pourra alors être tenté de renier ce pays avec la même frénésie qu’on aura d’abord mis à l’aduler. Combien se sont laissés emporter par ces deux extrêmes ! Ici comme ailleurs, la passion est mauvaise conseillère.
Pour aimer le Liban avec équilibre, mieux vaut donc ne l’idéaliser que spirituellement. Humainement, il faut porter sur lui un regard aimant et compatissant mais lucide. Car le Liban, créature terrestre et humaine, est à l’image de notre monde ; il en est le reflet. Il faut donc le voir tel qu’il est, comme un être à la fois brillant et souffrant.
Le regard spirituel, lui, ne décevra pas car il s’attachera à l’essentiel. Tant de fléaux s’abattent sur ce Liban, si fragile et si humble à l’échelle des nations, que l’on serait tenté d’y voir l’image du Christ offert sur la Croix pour racheter l’humanité. Seuls ceux qui ont une vision agnostique du monde souriraient à pareille assertion. Nul ne peut en douter cependant : Dieu a confié au Liban, pays chéri entre tous, une mission spéciale, celle de témoin et de messager. Telle est d’ailleurs la raison profonde de sa souffrance.
Sur cette terre bénie, jadis foulée par Jésus (Tyr, Sidon, la Galilée…), Dieu a confié à ses enfants le soin de perpétuer le passage de son Fils et de transmettre son enseignement. La chrétienté libanaise n’est ni une chrétienté-musée ni une chrétienté importée. Ses Églises, riches de leur diversité, sont solidement enracinées sur son sol - chaque pouce de terre libanaise porte des traces de christianisme ; ici, l’islam en subit l’influence comme nulle part ailleurs - et elles sont vivantes. Témoignent de cette vitalité le nombre incroyable d’églises nouvellement construites, de monastères restaurés, de pèlerinages recréés, de mouvements apostoliques ou d’entraide surgis d’une société par ailleurs décadente. Le renouveau est évident. Ici, la foi, l’espérance et la charité ne sont plus des mots creux.
Témoins du Christ auprès de ceux qui le rejettent, les juifs et les musulmans, les chrétiens du Liban le resteront jusqu’à la fin des temps. Leur mission est douloureuse certes - la guerre, qui se poursuit sous des formes plus perverses, le montre bien - mais combien exaltante. Elle passe par la Croix, une croix que tous les chrétiens doivent l’aider à porter. Car, en s’attachant à sa croix, le Liban se rapproche de Dieu et rapproche le monde de Dieu. Et cette croix est aussi un message, comme aime le répéter Jean-Paul II qui demande aux chrétiens libanais de ne pas renoncer à leur noble vocation.
Le Liban porte au monde un message de fraternité, imparfaite bien sûr, mais telle est notre humanité, marquée par le péché originel. Sans désespérer, il faut écouter ce message, le recevoir et l’appliquer. Il est particulièrement bienvenu en ces temps de grandes confrontations religieuses. Pour lui permettre de mieux porter son message, il faut aider et consolider le Liban, ne pas le considérer comme un anti-modèle à détruire mais comme le modèle humain à imiter.
Voilà, je crois, la manière la plus édifiante d’aborder le Liban. Approché ainsi, il est capable de donner beaucoup de joies, beaucoup de leçons de vie, beaucoup de forces spirituelles.